Lorsque j'étais dans le ventre de ma grand-mère, je méditais sur la brièveté de ma vie.
C'est vrai, peu d'enfants passèrent comme moi d'un ventre à un autre, sans rester plus d'un jour dans le monde extérieur.
Cela dit, mon premier nid me semblait bien plus confortable et accueillant que mon second.
De ce ventre-ci émanaient de mauvaises odeurs et l'eau trouble qui m'entourait piquait chaque morceau de moi-même.
Bien sûr, mon séjour ici serait bref. Quelques heures, tout au plus... Mais le confort maternel me manquait.
De mes yeux sombres comme des olives noires, je scrutais ce qu'il restait de ma peau de pêche, plissée comme ceux des petits pruneaux, dorée comme le meilleur des petits pains, et je fis une première évaluation des dégâts. Les dents avaient laissé quelques marques profondes, ce qui était inévitable, mais tout n'était pas abîmé. Je pouvais d'ailleurs bien voir ma bouche, toujours aussi charnue, rouge comme la plus mûre des cerises et mes cheveux frisés, presque intacts.
Je voguais donc, rassuré, profitant de la douce chaleur du lieu et de sa remarquable sécurité.
Les ventres des mères et des grands-mères on ça en commun, on s'y sent à laise et on n'y reste pas toute sa vie...
Cela dit, le sablier de la mienne touchait à sa fin.
C'est amusant, avant d'en faire l'expérience, j'imaginais autrement ma vie de bébé. C'est très bref, quand même ! Neuf mois dans un ventre maternel, une sortie tout en fracas, lumière et sourires. quelques heures pour se reposer. Et puis, l'arrivée des visiteurs, de la famille, les commentaires des uns et des autres, les cadeaux...
On s'y fait à pein et paf ! voilà déjà votre grand-mère qui arrive, vous couvre de louanges, vous déclare "à croquer", vous engloutit d'un coup, vous digère rapidement et vous remet dans la roue de la vie.
La prochaine fois, il faudra que je sois plus prudent.